Le travail de l’imaginaire est sans doute le premier secret de tous les travaux de l’esprit, qu’écrivait Jean Claude Carrière qui vient de disparaître à l’âge de 89 ans en ce triste mois de février.
Au départ rien ne prédispose ce fils de viticulteur à devenir un conteur né, un amoureux des mots et des images, un créateur et un passeur des mystères du monde.
Très vite le cinéma lui permet d’exercer son talent, d’abord auprès de Jacques Tati et Pierre Etaix pour lesquels il écrit des courts métrages dont Heureux anniversaire (qui lui vaut un Oscar à Hollywood) et ses principaux longs métrages : Le soupirant, Yoyo et Le grand amour. Par la suite, il travaille avec les plus grands, bien au-delà des frontières de notre hexagone comme par exemple Milos Forman (Valmont, Le fantôme de Goya, Wajda ( Danton, Les possédés) Haneke (Le ruban blanc) mais aussi Louis Malle (Le voleur, Milou en mai) Schlöndorff (Le tambour) Oshima (Max mon amour) ou des films Grand Public (La piscine, Borsalino) Jacques Deray (Cyrano) mais c’est avec Luis Bunuel que sa collaboration s’avère la plus fructueuse au travers de films majeurs (Le journal d’une femme de chambre, Cet obscur objet du désir)
A la lecture de cette filmographie, riche de près de 75 titres, on constate que Jean-Claude Carrière s’adapte avec bonheur à divers univers créatifs, même s’il excelle tout particulièrement dans le burlesque irrévérencieux et la tradition surréaliste. Il aime entretenir avec les cinéastes une complicité fraternelle, gage d’une certaine réussite artistique.
Outre le cinéma, il écrit des pièces de théâtre à succès (l’aide-mémoire, la controverse de Valladolid (adaptée à Télévision) et les mots et la chose, Ode à l’érotisme, qu’il joue lui-même sur scène.
Il s’aventure également dans l’écriture de chansons douces-amères pour Jacqueline François, Delphine Seyrig, Juliette Gréco et, plus récemment, Françoise Fabian.
Curieux de tout, il échange sur les origines de l’univers avec les Astro-Physiciens Michel Cassé et Jean Audouze ou la richesse du Bouddhisme avec le Dalaï Lama dans des livres qui ont un grand succès public.
Passionné de mythes et religions, il s’intéresse plus particulièrement à l’Inde, traduisant et écrivant le récit millénaire de l’ailleurs rêvé du Mahabharata ou en offrant son merveilleux Dictionnaire amoureux de l’Inde.
Depuis 2011, il était un fidèle du Salon « L’Inde des Livres » organisé par l’Association « Les Comptoirs de l’Inde ». Sa présence chaleureuse, son érudition et son art de conteur avaient touché les visiteurs.
Insatiable curieux, ouvert à tous les possibles, il vivait dans le royaume des mots, des images, des signes avec délectation et élégance. Pour lui l’œuvre de création devait s’appuyer sur une solide technique permettant alors toutes les audaces formelles et narratives.
Il est certain que Jean-Claude Carrière apparaît aujourd’hui comme un honnête homme au sens du XVIIIe siècle à la fois humaniste, érudit, épris de liberté, hédoniste rigoureux et rêveur qui croyait au dépassement de l’homme pour le meilleur et pour le rire.
Daniel Chocron
Historien du Cinéma. (08 Février 2021)